Un bon exemple d’utilisation de l’argent du contribuable : le CEAAC à Strasbourg
Le Centre européen d’actions artistiques contemporaines (CEAAC), prononcez « Séaque », est un lieu d’exposition situé à Strasbourg au 7, rue de l’abreuvoir dans le quartier de la Krutenau.

Façade du CEAAC peinte par Flora Moscovici pour l’exposition « Au Bonheur » Crédit photo : Antoine Weber
Parce que j’aime donner mon avis (surtout quand personne ne me le demande), j’ai envie de vous parler d’ un exemple d’argent public bien utilisé. Je vais en plus tenter de vous convaincre de visiter ce lieu. Car j’en ai un peu marre des articles qui dénoncent le mauvais usage des deniers publics en France : y’en a partout sur internet, c’est déprimant.
Le budget annuel de fonctionnement du CEAAC s’élève à 534 000€, constitué uniquement d’argent public. Sur cette somme, la Région Grand Est en fournit 47%, la Ville de Strasbourg 30 %, La Drac Grand Est 16 % et la Collectivité européenne d’Alsace 7%.
Avec ce budget, le CEAAC propose un lieu ouvert gratuitement au public du mercredi au dimanche de 14h à 18h, et entre 3 et 4 nouvelles expositions par an.
Première raison de visiter le CEAAC : l’architecture du lieu.
Le lieu d’exposition vaut à lui seul le détour. Il s’agit d’un ancien magasin d’art de la table, construit entre 1898 et 1899 par la société Neunreiter, aujourd’hui disparue.


Photos du magasin Neunreiter au début du XXe siècle.
Ce qui est cool, c’est que la décoration d’époque a été préservée. Elle a été réalisée en 1902 par Adolphe Zilly. Le même artiste qui a conçu les façades de la maison égyptienne au 10 rue du Général Rapp dans la Neustadt et de la moins connue mais tout aussi belle façade du 30 rue Principale à Schiltigheim.
Voici la fresque florale d’Adolphe Zilly pour le plafond du premier étage de l’ancien magasin :

Crédit photo : JP Lamps
Vous pourrez aussi contempler des iris peints sur les poteaux porteurs du lieu, et l’ancienne décoration de la caisse du magasin.
Alors certes, ce centre d’art n’est peut-être pas au niveau de l’architecture du Musée juif de Berlin ou du Guggenheim de New York , mais son univers « Art nouveau » début XXe siècle vaut le détour. De plus, nous sommes loin des cubes blancs à la mode de nos jours pour exposer les œuvres. C’est d’un ennui ces lieux sans âme où les seules touches de couleur sont le rouge des extincteurs et le vert des sorties de secours.
Deuxième raison d’y aller : la scène artistique contemporaine alsacienne.
Le CEAAC propose un aperçu de la création contemporaine alsacienne. C’est un centre d’art ancré dans son territoire. En le visitant, on peut se faire une petite idée de ce qui se fait dans la région. Certes, toutes les œuvres n’ont pas été conçues par des artistes alsaciens. De plus, toute l’année dans l’Espace international, situé au fin fond du CEAAC, se trouve le travail d’artistes résidents en Alsace et partis en résidence à l’international, dans les centres d’art partenaires du CEAAC. En résumé : vous voulez estimer le niveau de la scène musicale indépendante d’Alsace ? Allez voir un concert au Molodoï ou au Diamant d’or. Vous voulez vous faire une idée de ce que produisent les artistes contemporains en Alsace ? Allez au CEAAC. C’est subventionné, oui, mais justement grâce à cela, les œuvres sont sélectionnées presque uniquement pour leur qualité artistique et non leur capacité à « se vendre ». Ce n’est pas comme dans les galeries Carré d’artistes du centre-ville de Strasbourg, où l’on peut acheter des œuvres tout juste bonnes à décorer les salons d’appartements Airbnb pour les touristes.
Troisième raison d’y aller : la qualité de l’exposition actuelle « Au Bonheur », visible jusqu’au 26 février 2023.
Les commissaires sont la directrice du CEAAC, Alice Motard, et Joël Riff (né à Haguenau), commissaire d’exposition indépendant.
Lors du vernissage de l’exposition, qui a battu tous les records de fréquentation, des tartes flambées étaient servies aux convives : difficile de faire plus alsacien !
Je vous fais une rapide sélection de ce que j’ai retenu de cette expo :

Crédit photo : Antoine Weber
Grâce à un astucieux placement, nous entrons au CEAAC sous l’œil du portrait de Salomé Neunreitner (1840-1927), fondatrice de l’ancien magasin. Une fois quitté son air sévère de vieille veuve Alsacienne ; nous trouvons sur notre gauche une boutique ouverte le temps de l’exposition, le Moly Shop, du nom de la plus ancienne résidence d’artistes française (Moly-Sabata) située à Sablon à 50 km au sud de Lyon. Les visiteurs peuvent y acheter les pièces conçues par des potiers et céramistes de la région.


Les prix sont accessibles (entre 15 et 30€) et toute les pièces sont uniques. Il s’agit de céramiques et poteries utilitaires, dont on peut se servir comme tasse, assiettes etc. Cela créée un sympathique écho avec les marchandises vendues dans ce même lieu au début du siècle précédent.
Au fond du rez-de-chaussée, nous nous retrouvons devant un superbe luminaire de Julie Béna (née en 1982) qui a un parfum « Art nouveau ». Mais en s’approchant, le visiteur se rend compte que les sculptures en verre disposées aux extrémités sont en réalité des vulves féminines !
Ce luminaire a été si intelligemment placé dans l’expo que cela m’a fait penser à l’un des chefs-d’œuvre de l’architecture « Art nouveau »,l’Hôtel Tassel à Bruxelles, créé par Victor Horta en 1893. Jugez plutôt :

L’œuvre de Julie Béna accrochée au CEEAC crédit photo : Emilie Vialet

L’Hôtel Tassel à Bruxelles
Il y a un petit air, vous ne trouvez pas ?
Une autre artiste qui m’a marquée dans cette expo : Françoise Saur (né en 1949)
Cette artiste, dont les œuvres sont disposées un peu partout dans le CEAAC, a vidé une maison familiale suite à un décès. Elle a pris des photos, extrêmement composées, d’objets divers trouvés dans cette maison. On dirait presque des peintures, des natures mortes. Il y a une vraie beauté dans ses compositions. Ça m’a fait penser au temps qui passe et les choses laissées derrière nous quand on rend l’âme.




Crédit photo : Antoine WEBER
Il y a aussi des œuvres que je n’ai pas appréciées. Comme les arrangements de balais d’Alexandra Midal :

J’ai d’abord pensé à un match de Quidditch, ou à une exposition de Nimbus 2000 et d’éclairs de feu. Mais non, il s’agit bien d’une œuvre qui n’a rien à voir avec l’univers d’Harry Potter. D’après les explications des commissaires d’exposition, cela fait écho à une secte religieuse américaine du XIXe siècle. L’œuvre est liée à une vidéo que l’on peut regarder sur l’écran visible sur la gauche de ma photo. Cela m’a paru au mieux fantaisiste, au pire laid et incompréhensible.
Mais voyez-vous, ce n’est pas parce qu’on n’aime pas certaines œuvres d’une exposition qu’il ne faut pas aller voir l’exposition dans son ensemble. Par exemple, ce n’est pas parce que certains titres du dernier album d’Orelsan ne me plaisent pas que je n’aie pas apprécié l’album !
D’ailleurs, peut-être que vous allez aimer ce que je n’ai pas aimé et vice-versa. C’est ce qui est positif lorsqu‘on visite un lieu comme le CEAAC : on en ressort toujours avec une expérience différente selon les personnes.
Voilà pourquoi je recommande d’y aller à plusieurs, entre amis, en couple ou avec son date Tinder. Une fois l’exposition visitée, vous pourrez vous poser dans un des innombrables bars du quartier pour discuter de ce que vous avez aimé et/ou détesté et comparer vos impressions. Cela vous permettra d’avoir enfin un autre sujet de conversation que l’éternelle : « C’est quoi la dernière bonne série que t’as vue ? ».
Enfin, je dirais qu’il n’est pas nécessaire d’avoir passé 15 ans en fac d’arts plastiques ou de connaitre par cœur l’œuvre de 500 peintres différents pour donner son avis et visiter ce genre de lieu. Cette impression élitiste est souvent entretenue par le milieu de l’art contemporain, à tort selon moi. Car il suffit d’aimer la beauté et d’être curieux. Rien de plus.
Conclusion : Pour environ le même coût annuel que 10 policiers, l’argent du contribuable nous permet d’avoir un endroit qui essaie de nous rendre plus curieux, plus intelligent et dont tous les Strasbourgeois devraient faire la visite au moins une fois par an.
Antoine WEBER
